Françoise Bourdin, romancière à succès et pourtant peu médiatisée. (MaxPPP) |
PORTRAIT -
Auteure d’une trentaine de romans, peu connue du grand public, elle fait
pourtant partie des dix écrivains français les plus vendus. Attachée à
sa vie de province, elle a tissé un lien direct et constant avec ses
lecteurs.
Elle est l’inconnue des best-sellers mais ne
s’en soucie guère. Elle ne travaille pas pour la critique, se fiche du
qu’en dira-t-on parisien ; elle rêvait de province et lui rend hommage à
chaque roman. Terre indigo, Mano a mano, B. M. Blues… Des titres
qui nous sont familiers mais dont on est incapable de dire où on les a
entendus. Livres? Films? Un peu des deux. Ils sont tous nés de la plume
de Françoise Bourdin, 59 ans, auteure d’une trentaine de romans à
succès, certains adaptés à la télévision. Son nom ne vous dit rien,
pourtant "la" Bourdin est une serial best-selleuse.
La
championne du club France Loisirs (deux millions de lecteurs!) écrit.
Facile, fluide, efficace. Sans douleur, sans artifice. De bon matin,
cigarette aux lèvres. Deux livres par an, une cuvée de mars et une
d’automne, pour entretenir la machine à lecteurs. Ses fans dévoués la
retrouvent avec un plaisir intact à chaque publication, lui envoyant
lettres et e-mails élogieux, parfois même exigeantes requêtes. Comme ce
lecteur qui lui a fait parvenir un courrier de dix pages enjoignant son
écrivaine favorite de lui répondre sous la plume d’Alexander, l’un de
ses personnages. Là, Bourdin a dit stop. Ne pas se laisser piéger par le
jeu schizophrénique de la matière fictionnelle.
À
18 ans, elle sortait son premier roman chez Julliard, Les Soleils
mouillés. "Une autobiographie. Ça fait prétentieux quand on n’a même pas
20 ans et qu’on n’a rien vécu." Pendant une quinzaine d’années, elle ne
publie plus, devient l’épouse d’un médecin, élève ses deux filles.
L’une des petites lui assène, devant la plaque professionnelle du père :
"Papa, c’est le docteur et toi, maman, tu n’es rien!" Violent déclic.
Françoise Bourdin, qui ne s’était jamais vraiment arrêtée d’écrire,
ouvre ses tiroirs et envoie des manuscrits à presque tous les éditeurs
de Paris. Pendant deux ans, pas de réponse ou alors des refus, puis deux
coups de téléphone la même semaine. La Table ronde et Denoël lui
prenaient deux manuscrits différents. Début janvier 2012, Le Figaro
publiait son palmarès des dix romanciers français qui vendent le plus.
La seule enquête fondée sur les ventes réelles de livres (les sorties de
caisse). Françoise Bourdin se glisse à la huitième place avec 470.000
exemplaires écoulés en 2011, entre Delphine de Vigan et Amélie Nothomb.
Sans le soutien des médias. Quelques papiers dans la presse régionale, à
peine une dizaine en dix ans dans la presse généraliste.
Elle refuse le jeu des cocktails parisiens
Pourquoi
un tel silence? Une chose est sûre, Françoise Bourdin n’appartient pas
au sérail germanopratin. On ne la verra pas dans un cocktail mondain,
elle a bien essayé mais elle s’y ennuie profondément, souffre d’entendre
des auteurs dans le vent se "gargariser à longueur de soirées de vendre
beaucoup plus de livres que dans la réalité". En ville, Françoise
Bourdin suffoque. Ce petit bout de femme a besoin de grands espaces, de
gros chiens et de chevaux ; elle a posé valises et inspiration au pied
des collines normandes de Port-Mort (Eure), près de Vernon. Et puis,
elle fait de la littérature "grand public". "En France, tout ce qui est
populaire est suspect, catalogué roman de gare, dit-elle sans aigreur.
Quoi de plus noble, au contraire, que de plaire au plus grand nombre. Si
certains de mes lecteurs lisent mes histoires jusqu’à 3 heures du mat,
c’est bien qu’il y a quelque chose non?"
C’est ce
"quelque chose" que les critiques ont du mal à percevoir. Des "histoires
qui nous ressemblent" mais que l’on peine à classer. Bourdin, ce n’est
pas vraiment de la saga régionaliste, pas tout à fait du roman
sentimental. Risquons une étiquette : une psychologie à la Katherine
Pancol, mâtinée de la noirceur d’un François Mauriac éclairée par la
modernité sociétale d’une Colette. Colette qu’elle a dévorée à
l’adolescence en commençant par La Chatte à 12 ans, "parce qu’il y a
avait un joli petit chat sur la couverture". Colette a aidé la petite
Françoise à fuir le monde des enfants, trop lent pour elle. Fallait que
cela aille vite, grandir, monter des chevaux de course, conduire une
voiture. Percuter de plein fouet la vie d’adulte.
"Mes
parents étaient chanteurs d’opéra, ma mère, Géori Boué, était célèbre.
C’était tous les jours le spectacle, avec ces chapeaux à plumes, ces
crinolines plein les malles de notre hôtel particulier de Neuilly. Puis
mes parents se sont séparés, j’ai découvert la vie parisienne à l’étroit
en appartement, je me suis réfugiée dans la lecture des livres de poche
et me suis inventé des histoires de famille avec des grandes maisons."
La plupart de ses récits ont pour point d’ancrage une demeure bien tenue
qui rassure. "Avant de commencer à écrire, je dessine le plan de la
maison pour mieux la voir, j’ai habité ces lieux imaginaires durant des
mois, j’ai entendu les bois craquer, les huisseries gémir. Je suis sûre
que les murs parlent."
Elle n’évite aucun sujet, deuil, maladie, homosexualité, divorce
Contrairement
à la plupart des auteurs grand public, sa plume n’évite aucun sujet,
deuil, maladie, homosexualité, divorce… "Ses romans parlent de vrais
gens, dans des situations où chacun peut se reconnaître ou reconnaître
un proche. Les personnages sont très soignés, les thèmes actuels, la
structure est limpide", observe Geneviève Perrin, son éditrice.
Consulter le site francoisebourdin.com
aide à comprendre les raisons d’un tel succès. "Les phrases et les mots
sonnent juste, à tel point qu’à certains moments, on croirait que cela
vous touche personnellement", écrit France de Nice. De la littérature de
bonne femme ? Pas seulement. "Depuis plusieurs années, mon lectorat
change, note Françoise Bourdin. Avant, au Salon du livre, quand un homme
me demandait une dédicace, c’était toujours pour son épouse, sa sœur,
sa maman ou sa grand-tante, aujourd’hui, c’est pour eux." C’est
pourquoi, elle soigne de plus en plus ses personnages masculins.
"Tous
vos livres pourraient faire l’objet d’un téléfilm…" La remarque d’un
lecteur du sud de la France fait sourire l’auteur, puisque dès son
deuxième roman, De vagues herbes hautes, Bourdin était portée à l’écran
par Josée Dayan. Plus tard, l’écrivaine a signé la novélisation de Terre indigo,
série phare du TF1 des années 1990. Sur cette période, elle ne
s’attarde pas trop, bien consciente d’avoir fait son beurre avec cette
activité de scénariste mais d’avoir flirté avec "le diable". "Je me
souviens d’un directeur de la fiction qui citait du Orson Welles à tout
bout de champ pour au final ne produire que des feuilletons stupides! Se
prendre la tête pendant des heures pour trouver un rebondissement
toutes les sept minutes sous prétexte qu’au-delà les gens zappent, non
merci, je préfère retourner à mes livres. C’est ma liberté." À 15 ans
déjà, elle, Françoise Bourdin balançait à son père : "Si tu m’empêches
de sortir par la porte, je sortirai par la fenêtre."